Je vous prie de bien vouloir excuser que je revienne, ce dimanche encore, sur le rapport de la Ciase. Nous ne pouvons tourner la page, cinq jours après. Je ne le peux. Nous ne le devons pas, s’il s’agit de changer profondément notre manière de faire Eglise, de vivre en Eglise. Je ne sais pas vous, mais j’en connais qui ont pleuré toute la journée de mardi.
Plusieurs d’entre nous ont été victimes de pédocriminels. Plusieurs d’entre nous connaissent des victimes. Je me rappelle une messe de semaine, il y a deux ans, dans notre paroisse. Nous étions moins de dix. L’une des personnes présentes a confié avoir été abusée durant l’enfance ; elle sortait tout juste de l’amnésie traumatique. Elle ne pouvait savoir qu’elle ouvrait une autre boîte de Pandore que celle de sa vie. Quatre d’entre nous avaient été abusés, au moins trois par un clerc. Quatre sur huit ou neuf ! Ici, chez nous. Nous ne pouvons pas dire que cela ne nous concerne pas.
L’évangile (10, 17-30) rapporte une salutation aussi superbe que biaisée. Et Jésus ne s’y trompe pas, il pointe immédiatement et précisément. « "Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ?" Jésus lui dit : « "Pourquoi dire que je suis bon ?" »
Il suffit de la fatuité, voire de la politesse ampoulée. Maître aurait suffi, n’est-ce pas ? Et encore, ce n’est pas n’importe qui qui est salué. Jésus, avant de répondre quoi que ce soit, gentiment mais clairement, pointe l’emphase. Tout cela est mensonge puisque « Dieu seul est bon », puisque « vous n’avez qu’un seul maître et vous êtes tous frères ». Jésus dénonce le mensonge aux allures de bonté. Il rétablit le dialogue, d’adulte à adulte, la réciprocité.
Les « Monseigneur », « Mon Père » et autres titres, sont contraires et à la parole de Jésus, et à son attitude, à l’évangile. Laissons aux mondains, ridicules, d’en user. Cessons, de suite, dans l’Eglise, d’y recourir. C’est sans doute symbolique. Mais c’est déjà un petit pas contre l’aura sacerdotale, combustible du cléricalisme. Si Jésus refuse qu’on l’appelle bon, parce qu’à Dieu seul convient ce qualificatif, combien plus devons-nous résister à tout cela.
Certes, nous rencontrons des personnes bonnes. Je pense à ce médecin croisé cette semaine. Je n’en reviens pas. Le silence, l’écoute, le tact, une phrase seulement pour dire du bien, non, pour dire le bon de la rencontre, « c’est toujours un plaisir de vous rencontrer ». Elle est bienfaisante la bonté que nous partageons entre nous. Et nous sommes convoqués à cette bonté. Et nous pouvons nous rassasier de la bonté des autres, nous apaiser à leur bonté.
Oui, nous sommes bons… à certaines occasions. Le peu de notre bonté ne saurait faire oublier que « pour les hommes, c’est impossible. » Je lis, dans la dernière livraison des Etudes, un prêtre jésuite : « Personne ne peut dire "je t’aime" en vérité. » (Il est aussi victime de pédocriminels.) Alors, on arrête le sketch, on arrête le mensonge, « Dieu seul est bon ».
La richesse empêche d’être disciple, parce qu’on compte assez vite dessus plus que sur Dieu. Le statut social joue pareillement, la volonté d’être honoré, que l’on fasse cas de nous. Le respect dû à chacun est impératif, mais précisément pas parce que l’autre est bon, ni nous, mais parce qu’il est un frère, une sœur. Dieu nous aime non en raison de notre bonté, mais de la sienne. « Dieu seul est bon ». L’amour de Dieu pour les pires d’entre nous révèle qu’il nous aime en raison de sa bonté, non pour notre mérite. C’est cela sa grâce.
Accéder à la bonté n’est sans doute ni impossible ni facultatif. Le respect des commandements et le travail sur soi ne sont pas optionnels. Pourtant, la bonté n’est pas nôtre, nous ne pouvons l’acquérir, l’obtenir, seulement la recevoir. Elle est comme la vie, qui la prend tue ! Qui se croit bon ment. « Nul n’est bon que Dieu seul. »
L’Eglise n’est pas bonne, n’est pas sainte, n’a pas en elle la vie
éternelle. Le scandale n’est pas qu’il en soit ainsi, mais qu’elle se fasse, que
les clercs se fassent passer pour tels. La sainte Eglise, un bon prêtre, cela n’existe
pas. Un bon chrétien, cela n’existe pas. « Dieu seul est bon. » « Pour
les hommes, c’est impossible. » La sainteté de l’Eglise n’est pas sa
perfection et notre mal, et la pédocriminalité en sont une preuve. La sainteté
de l’Eglise est l’expression du péché de l’Eglise, énorme, scandaleux, tout au
long de l’histoire, que la sainteté, la bonté de Dieu est susceptible de renverser.
Confesser la sainteté de l’Eglise c’est uniquement confesser le seul à être
bon. Cela n'est en rien ecclésiologique.
Allez recevoir les mains pleines, allez recevoir si vous êtes pleins de vous-mêmes. S’il importe de se dessaisir des richesses ‑ et la reconnaissance due aux victimes des pédocriminels va y contraindre notre Eglise ‑ c’est parce que la sainteté, la bonté, ne peuvent que se recevoir.
Merci pour votre témoignage. En groupe de la FARE, samedi dernier, vous nous avez rappeler la date du 5 octobre, remise du rapport de la CIASE. Merci de l'avoir fait, cela m'a permis d'être à l'écoute. Cela a été pour moi un séisme. Je n'en suis pas indemne en tant que catholique et pourtant je ne suis pas victime et n'en ai eu aucun témoignage.
RépondreSupprimerCe matin, je prononce mon homélie.
RépondreSupprimerDès la fin du deuxième paragraphe, je vois un couple sortir. Je ne saurai jamais pourquoi.
A la fin de la messe, un couple de jeunes trentenaires, que je ne connais pas, sans doute de passage, bien respectueusement, tient à me dire sa souffrance. L’Eglise est sainte. Vous avez dit qu’elle ne l’était pas. Je garde mon calme.
Je suis à vif émotionnellement par cette célébration. La prière universelle remplacée par le chant de Taizé où ma voix s’est brisée : dans nos obscurités, allume le feu qui ne s’éteint jamais, qui ne s’éteint jamais, répété au moins sept fois.
En outre, un groupe de six ou sept jeunes polyhandicapés est là, que j'essaie d'accueillir au mieux. Ils sont aussi de passage. Je viens leur donner la paix, essaie de m'assurer qu'ils sont au mieux malgré quelques cris, quelques mouvements. Des laïcs distribuent la communion, j'approche le calice pour un de nos hôtes qui communie seulement au sang. Aucun paroissien ne bouge.
A la fin de la messe, alors que je suis avec ce couple, tous les paroissiens s’en vont. Seul reste un couple, qui s’était présenté avant la messe, ils viennent d’une paroisse à la limite du diocèse, à une soixantaine de km. Non, je n’ai pas dit que l’Eglise n’était pas sainte. Il n’est pas possible de sortir une phrase de son contexte. Difficile à entendre, mais finalement, ils en conviennent. Mais les paroissiens auront-ils compris ? Ils ne sont pas nés de la dernière pluie, ils auront compris. Mais enfin, le credo… Oui, avant le credo, j’ai repris l’homélie en disant comment on pouvait confesser la sainteté de l’Eglise aujourd’hui. Pécheresse, l'Eglise est rendue sainte par le seul saint. Etc.
Alors autre chose, avoir qualifié les « Monseigneur » et « Mon Père » de mondanités ridicules. Nous vous appellerons « mon père », nous ne saurions vous tutoyer, vous êtes consacré. Je résiste. Je n’ai jamais été consacré, seulement ordonné. La conversation ne peut avancer, ils partent. Le couple de l’autre bout du diocèse me remercie pour l’homélie. Je n’arrive pas à trouver dans leurs mots quelque réconfort.
Je finis de ranger l’église, m’aperçois qu’il me faut monter à la tribune de l’orgue où la lumière n’a pas été éteinte.
Voilà.
Merci de vos textes et de vos pensées qui me touchent toujours car elles cherchent toujours à rester proche de l'évangile. Quelle souffrance de sentir que des chrétiens ne comprennent pas le message, en particulier dans la jeune génération... moi vos paroles me font du bien et m'aident à rester, merci!
RépondreSupprimer