Le rapport Sauvé met en évidence un grave problème de théologie des ministères. Cela n’étonnera pas ceux qui sont de la partie. Le concile Vatican II, en enseignant que le baptême est la voie du salut et de la sainteté, n’innove nullement, mais, après des siècles d’éminence du sacerdoce, et dans une moindre mesure de la vie consacrée, provoque une révolution.
Il n’y a donc pas besoin d’être prêtre ou religieux, religieuse pour vivre à fond sa foi ? Le mariage et la vie dans le siècle, non seulement ne sont pas un obstacle, mais constituent la manière habituelle de pratiquer l’évangile. L’onction baptismale configure chacun au Christ, prêtre, prophète et roi ; chacun est engagé à répandre la bonne odeur du Christ.
A quoi bon être prêtre alors ? La question est plus que mal
posée. Comme s’il fallait penser la grâce, baptismale ou presbytérale, en termes
d’utilité. On n’est pas prêtre pour être sauvé ou saint, encore que le propos
de la sainteté s’impose aux prêtres comme à tout baptisé, on est prêtre non « en
soi », changement ontologique, mais parce que l’on accepte de se mettre au
service de l’Eglise pour qu’elle poursuive sa mission. Nombre de baptisés qui sont au service de l’Eglise, dans une durée persévérante, exercent un ministère qui pourrait bien être presbytéral si l’ordination n'était réservée aux mâles célibataires...
Ces choses connues n’en sont pas moins problématiques. Car ce n’est pas ainsi que nous pensons. Nous continuons à penser que les prêtres ont une spécificité qui les distingue du reste des baptisés. L’obligation du célibat, bien que non universelle dans l’Eglise catholique romaine, ne fait que sceller cette spécificité. Imaginer que le ministère ne prenne pas la personne tout entière dans son emploi du temps, sa sexualité, ses moyens économiques etc., est quasi impossible. Les prêtres professionnalisés demeurent une marginalité.
On a élaboré au cours des siècles une théologie du sacrement de l’ordre aux antipodes d’une théologie des ministères. C’est que sacerdoce et presbytérat, ce n’est pas la même chose, même si en français, on a un seul mot, prêtre. Un prêtre (sacerdote) serait un autre Christ, intermédiaire entre les hommes et Dieu. Il arrive à François de parler ainsi ! Or les prêtres (presbyter) n’ont de sens qu’au service des autres et non en soi. On a pensé les choses sur le modèle des religions. Pas étonnant que l’Eglise se fracasse, en ce troisième millénaire, sur ces questions de sacerdoce, malgré la réforme de Vatican II, d’ailleurs assez vite enterrée.
La lettre aux Hébreux expose qu’il y a qu’un unique prêtre, le Christ et que le sacerdoce, aaronien, le sacerdoce des religions, c’est fini. Le sacerdoce du Christ ne se transmet pas et met fin aux sacrifices. D’où la drôle de formule « selon l’ordre de Melchisédech ». On ne parle de Melchisédech que deux ou trois fois dans toutes les Ecritures. Il est connu par le psaume 110, cité par la lettre aux Hébreux, récité aux vêpres du dimanche, auxquelles beaucoup participaient, d’où sa fréquente mise en musique.
Melchisédech est un homme mythique dont on ne sait rien. Il est sans génération et apporte du pain et du vin à Abraham. Avec lui, c’est le prêtre qui paye la dîme et fait l’offrande, c’est le croyant qui reçoit et non Dieu ! C’est le renversement opéré par Jésus. Il offre son corps et ce sont les croyants qui reçoivent. En donnant sa vie pour ceux qu’il aime, une fois pour toute, il rend caduque le sacerdoce. Il n’existe plus que son corps, peuple sacerdotale, qui par le style de vie à sa suite, présente l’humanité à Dieu. Si ministère il y a, il ne peut pas être sacerdotal. Si sacerdoce il y a, il ne peut être que baptismal. Fonder le sacerdoce sur une épitre qui le relègue définitivement, c’est une violence qui ne pouvait que se payer cher, et le temps est venu de régler la facture !
Le séisme des crimes sexuels dans l’Eglise est celui d’une obligation de soin pour l’Eglise, une conversion à ce que pourtant elle prétend croire ! Ce n’est pas seulement l’affaire de la déviance de quelques uns mais le fruit empoisonné d’une théologie monstrueuse. Refuser de modifier nos façons de croire, aussi énorme que cela nous paraisse, serait entretenir le crime sacerdotal. Il est urgent de nous rendre à la conversion inchoativement et trop timidement souhaitée par Vatican II ? Franchirons-nous le pas que le Concile n’a pas voulu ni su franchir en renouvelant la manière de vivre en Eglise, peuple de baptisés, peuple de prêtres.
Aussi longtemps que le prêtre sera considéré comme l'homme du sacré, mis à part, de nature ontologique différente de celle du laïc, la situation ne pourra pas se débloquer. Vatican II, avec Lumen Gentium a timidement évoqué le sacerdoce universel mais on en est revenu rapidement à la vision d'avant Vatican II. Qu'on commence déjà à remettre en cause que Jésus a institué les prêtres le soir du jeudi saint.
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