Je viens de
lire la brochure publiée ces jours par Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, Abus sexuels dans l’Eglise catholique. Des
scandales aux réformes (Tracts Gallimard). J’avais lu ici ou là la
déception de certains et avais été plus que déçu par un entretien récent sur
France-Inter. Je veux dire ici l'intérêt qu'a suscité pour moi cette réflexion.
Ce n’est sans
doute pas un papier révolutionnaire, ou si l'on veut, cela manque un peu de souffle prophétique. Le texte se veut sans aucun doute consensuel
tout en assumant d’être le propos d’une personne. Si cela permettait à tous les
catholiques d’y souscrire, ce serait beaucoup. Il y a une forme
d’humilité et de délicatesse dans l’écriture qui invite au dialogue. L’évêque n’apparaît pas
Monsieur-je-sais-tout. J’ai apprécié, par exemple, la façon de parler de la
candidature d’Anne Soupa à l’archevêché de Lyon, on n'alimente pas la polémique, on entend ce qui est dit, on réfléchit avec la position d'autrui.
Je suis intéressé par l’insistance de la réflexion sur la maturité, l’être adulte. Ce n’est pas dit comme tel, mais c’est ce que je comprends : il y a chez les clercs, prêtres et évêques, et pas seulement les pédocriminels, un manque de maturité. C’est un des ressorts du fameux « systémique » des crimes et délits sexuels du clergé et de leur couverture.
Je suis surpris par le silence sur la sexualité des prêtres et des évêques (alors que le document revient plusieurs fois sur la sexualité) ainsi que sur leur mal-être dont on parle depuis plusieurs années. Rien n’est dit, je crois, de la pratique du célibat, des doubles-vies, de l’homosexualité, de ceux qui quittent le ministère pour rejoindre une compagne ou un compagnon, de ceux qui ont des enfants, Certes, certains paragraphes pourraient en tenir lieu, mais il m’aurait semblé bon d’être plus explicite sur ces thèmes. C’est un des grands mensonges de l’Eglise après la pédocriminalité. Or on ne peut construire sur le mensonge, et vue la place que l’institution accorde aux clercs, à la différence des autres personnes, ce mensonge aussi coûte cher.
Bien sûr, en termes de décisions concrètes pour que l’Eglise se
réforme, on pourra juger que cela ne va pas assez loin. On peut penser cependant que c'est aussi ce qui permettra au texte de Pascal Wintzer d’aider à prendre certaines décisions
plutôt que d’autres, notamment lors de la prochaine assemblée plénière. Tout de même, de nombreuses pistes sont dessinées : réflexion sur le fonctionnement du pouvoir, institution de réels contre-pouvoirs dans le gouvernement d’une paroisse ou d’un diocèse (statut des conseils), modification du fonctionnement des associations diocésaines afin qu’une autre personne (homme ou femme) que l’évêque puisse engager la signature du diocèse sur les dossiers dont elle est chargée en raison des compétences pour lesquelles elle a été embauchée, possibilité de remettre sa charge, nécessité d’une évaluation du travail des clercs, évaluation de la conception de Dieu que les pratiques ecclésiales renvoient pour qu’elle soit toujours plus conforme à l’Evangile aujourd'hui, prise en charge plus effective par les clercs de leurs conditions de vie, etc..
Une chose m’a embêté, très expressément. Parler des prêtres et des évêques comme d’hommes de Dieu. Ce n’est pas un statut, clérical ou religieux (il faudrait ajouter baptismal), qui fait l’homme de Dieu. Curieusement d’ailleurs, on ne laisse pas entendre qu’il y aurait « des femmes de Dieu » ! « Les évêques sont donc cela, des hommes de Dieu, des religieux, des consacrés, non d’abord des dirigeants, des organisateurs, des managers. » (p. 37). Non ! C’est l’effectivité de la conversion évangélique qui fait que les autres peuvent dire de tel ou telle qu’il ou elle est homme ou femme de Dieu. Ce mélange de la « consécration » et du pouvoir est le vice du système. Il suppose que tous ceux qui gouvernent sont « religieux », ce qui est un énorme mensonge, source de tous les abus. Mais encore, les ministères dans l’Eglise, celui de presbytre et d’épiscope particulièrement, ont été rendus nécessaires précisément pour organiser et gouverner les communautés. C’est un charisme différent de celui du moine, si jamais la vie monastique est cette velléité d’être homme ou femme de Dieu.
Dans une paroisse ou un diocèse, le presbytre ou l’épiscope ne sont
que rarement repérés comme spécialement « de Dieu ». Bien sûr, c’est
un disciple, mais souvent assez médiocre. En revanche, il sait (ou devrait savoir) faire
marcher ensemble, par un juste gouvernement, les uns et
les autres, parmi lesquels des hommes et des femmes que l’on peut vraiment dire
de Dieu. Je connais de bons chefs. Ils facilitent le consensus, disent peu leurs
idées (qu’ils n’ont pas forcément) mais savent repérer celles qui valent le
coup. On leur reprochera d’être trop peu militants, mais c’est aussi ce qui
leur permet de rassembler. Ils sont piètres théologiens par exemple, ou piètres
croyants. Mais ils savent faire, exercer l’autorité, c’est-à-dire autoriser,
permettre à tous de vivre avec et pour les autres dans la logique de
l’Evangile. Tous les prêtres n'ont pas le savoir-faire du gouvernement, a priori des curés et des évêques seulement. On pourrait penser qu’un prêtre ou un évêque qui en serait dépourvu et qui cependant recevrait la charge de gouverner pourrait s’adjoindre un(e) secrétaire ou délégué(e) général(e). Tous les charismes ne sont pas dans la même personne. Un seul des
charismes n’est pas optionnel, la charité. Pour sortir du cléricalisme, il faut
imaginer que tous les charismes ne soient pas réunis par le chef (et le texte de Pascal Wintzer le dit clairement), et que tous les
membres de l’Eglise pratiquent le charisme de la charité sans lequel aucun des autres n’a
de pertinence.
« Je comprends aisément que des personnes choisissent d’affirmer : "Ni Dieu, ni maître !" La religion est le système qui peut se muer dans le pire des totalitarismes. Pour certains, elle n’est que cela. Dans ce cas, si Dieu et ceux qui s’en réclament sont des oppresseurs des libertés, qui justifient la mainmise de certains sur d’autres, qui encouragent la division entre les personnes, qui conduisent au rejet de certaines catégories d’humains pour des raisons de genre ou d’orientation sexuelle… le choix moral le plus digne est celui de l’athéisme. Pour ma part, je préfèrerais être athée que de croire en un tel dieu. Même si, comme croyant, je crois que Dieu s’intéresse à chacun, veut le meilleur pour lui, Dieu demande toujours à être choisi. Ce choix doit être raisonnable et moral : choisir un dieu qui opprime ne le serait pas. » (p. 16)
Retravaillé le 15 mars 2023
Merci beaucoup!
RépondreSupprimerVient petit à petit la nécessité de dire Dieu, l'Eglise ou l'Evangile autrement... et de se laisser embarquer en exil, et en nomadisme, avec Buyse, Noyer, Moingt, Spong, Lavoué, Locht, Soupa, Scaraffia et quelques autres. L'Evangile nous attend devant et non derriere. "Celui qui met la main à la charrue..."