17/03/2023

Des visions de mensonge (4ème dimanche de carême)

  El Greco, Guérison de l'aveugle v. 1560, Dresde

Il est bien des manières de lire le chapitre 9 de Jean : Pourquoi le mal, religion et vérité, passion de Jésus, guérison, conversion et foi, lumière et ténèbres, mensonge et mort, vie et liberté, etc.

Le récit du cinquième et avant-dernier signe rapporté par l’évangéliste, c’est notre monde à feu et à sang, les gouvernements qui ne font rien pour réduire les inégalités, au contraire, l’Eglise qui ne parvient pas à se réformer parce qu’elle ne veut surtout rien changer (c’était ce vendredi journée de commémoration pour les victimes de clercs pédocriminels), le changement climatique qui ne modifie quasiment pas nos comportements, notre péché, etc.

J’entends le cri de notre prière, nos désirs que ça change. Notre prière, parce qu’il n’y a pas d’autres possibilités, plus d’autres issues. L’indifférence des riches et des puissants est aussi implacable que la maladie qui frappe un enfant, cancer ou dépression. Une amie qui se dit non croyante m’écrivait cette semaine : « A ce niveau, je pense que la prière est plus efficace que les médicaments ». Oui, ils sont nombreux qui n’en peuvent plus. Pour tout dire, tous ceux qui sont confrontés à la violence et sa constance, sa durée sans issue.

Un homme a été guéri de sa cécité ! Jésus l’a libéré ; il nous libérera nous aussi. Rien n’est impossible à Dieu. Que faites-vous des miracles de Lourdes ? Vous ne croyez donc pas que Dieu est tout-puissant ? La guérison de l’aveugle pourrait laisser penser que le miracle est possible. Croire au merveilleux et à l’efficacité de la prière. Nous n’en pouvons plus de mal.

Pourtant, il n’y a pas de merveilleux dans l’évangile que nous venons lire. C’est une répétition générale. Répétition du mal qui nous fait végéter dans les ténèbres. Répétition générale de la passion, avec accusation, instruction, procès et nuit de la mort.

Lisons Jean de la Croix. Il s’y connaît en matière de mal. Enfermé dans un cachot minuscule, sans lumière, dont il parvient à s’évader au bout de neuf mois. Battu, pour ne pas dire torturé, afin qu’il renonce à la réforme de l’Eglise, privé des Ecritures, il écrit : « Les œuvres surnaturelles et miraculeuses […] sont à l’homme de peu d’importance puisqu’elles ne peuvent par elles-mêmes lui servir de moyen pour s’unir à Dieu : seule la charité unit à Dieu » Un peu plus loin, il cite Paul : « J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. J’aurais beau avoir la foi jusqu’à transporter les montagnes, j’aurais beau, j’aurais beau…s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien. »

Notre attente de la guérison, du miracle est la juste expression de ce qu’il faut, là, maintenant, en finir avec le mal, là, maintenant sortir de vies infernales. Oui, nous voulons vivre, oui, nous voulons la lumière, échapper aux ténèbres.

Seule la charité relève, ressuscite, non pas demain, quand nous serons morts, mais là, maintenant. Expérience des plus petits d’entre nous. Etre reconnus, se reconnaître, avoir droit à la parole, être écoutés, être crus, être considérés. Le mal est là, encore, mais on est déjà vainqueur. Par la charité, Jésus est déjà vainqueur en nous et pour nous. Lumière ! fini de l’aveuglement, y compris des miroitements attirants du merveilleux.

Croire en Dieu, ce n’est pas faire chorus et rendre gloire à Dieu selon les ordres d’une institution religieuse. C’est refuser d’entonner le mensonge qui tue. On ne croit pas en Dieu parce qu’il guérit. Jean de la Croix n’a pas cru que Dieu le libèrerait : c’est lui qui a discrètement, obstinément, fragilisé la serrure jusqu’à pouvoir la défoncer. Mais dans la nuit, dans le cachot, dans le mal, il n’a cessé de crier, de dénoncer le mal. « La recherche de merveilleux, de miracles ou d’expérience sensible n’aide pas le croyant à habiter la foi qui n’est autre que l’acte de croire quand il n’y a pas de raisons de croire. » (A. Lecu) Enfermé en un lieu secret, destiné à une mort lente, Jean est relevé par l’amour du Dieu impuissant, caché.

Ceux qui disent voir sont des imposteurs, dénoncés comme tels par Jésus. Les croyants de l’évangile se savent aveugles ; ils vont dans la nuit. Puissions-nous traverser les ténèbres, plutôt que nous prélasser à la lumière mensongère des certitudes ou du merveilleux. Puissions-nous, ici et maintenant, trouver des samaritains de l’amour pour passer ensemble « des ténèbres à son admirable lumière ».

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