30/03/2013

Isaïe prophète de la résurrection (Pâques 2013)


Lorsqu’il faut parler de la résurrection, nous sommes assez démunis, c’est le moins que l’on puisse dire. L’expérience de la résurrection échappe à ce que nous connaissons. La résurrection est à ce point nouveauté radicale, jamais vue, qu’elle n’a pas de mots pour se dire.
Certains diront que, puisque justement l’expérience de la résurrection échappe à ce que nous connaissons, nous ne pouvons, et partant, ne devons rien en dire. Mais s’il en va ainsi, c’est le cœur de notre foi qui est frappée d’impossibilité. Nous ne saurions en convenir.
Les auteurs du Nouveau Testament ont construit leurs discours sur la résurrection notamment en puisant dans les Ecritures. Ils ont lu les Ecritures comme une prophétie. Ils ont cherché comment l’annonce de la résurrection s’y disait pour trouver des mots moins impertinents que d’autres. Dans la nuit de la Pâque, la longue liturgie de la parole semble nous dévoiler l’immensité de la prophétie scripturaire. Sept lectures nous sont proposées pour que l’on puisse un peu, à la fin, entendre l’annonce de la résurrection.
Mais pour choisir dans toutes les Ecritures ce qui le concernait, ou mieux, pour voir que tout dans les Ecritures le concernait, il fallait le croire vivant. Nous sommes habités par la même foi que les premiers chrétiens. Il n’y a pas de preuves de la résurrection. Elle n’est pas constatable. Au mieux y a-t-il un tombeau vide, que d’autres ont interprété ‑ les premiers chrétiens le savent bien puisqu’ils le rapportent ‑ comme le vol du corps. Il n’y a pas de preuves de la résurrection. Vous n’en deviendrez pas les croyants après avoir beaucoup réfléchi, après avoir rassemblé des éléments de crédibilité. Certes, votre réflexion pourra montrer qu’il n’est pas contraire à l’humanité de l’homme de confesser une résurrection, mais rien de plus.
D’abord, peut-être, vous croyez ; ensuite, vous comprenez. Comment croire ? Là encore, pas de mots. C’est comme si l’on demandait : comment aimer ? Nous disons avec Paul que nous avons été saisis. Nous ne savons pas bien ce que cela veut dire. Mais nous constatons en notre vie que Jésus est pour nous le vivant qui fait vivre. Nous constatons que Jésus n’est pas définitivement mort. Voilà, c’est un fait, nous l’aimons. Voilà, c’est un fait, nous le croyons vivant, comme des millions avant et avec nous.
Autosuggestion ? Habitude née d’une culture et d’un enseignement sans cesse ressassé ? Oui, la foi est un habitus, comme disaient les anciens, cette espèce de disposition qui devient naturelle. Oui la foi naît aussi d’une culture et d’un enseignement, elle se reçoit. Mais cela ne l’épuise pas, ne la dit pas entièrement. Il y a autre chose. C’est comme l’amour. Voilà, c’est un fait, nous aimons nos parents, nous aimons nos frères et sœurs, nous aimons notre conjoint, nous aimons nos amis. C’est viscéral. C’est aussi un habitus, c’est aussi dans le discours, mais c’est.
Ainsi donc, nous ne pouvons que constater que nous sommes croyants. Alors, nous voulons comprendre ce que nous croyons, alors nous voulons rendre compte de l’espérance qui nous habite, l’annoncer. Et, après les premiers chrétiens, nous cherchons des mots. Avec eux, nous puisons dans les Ecritures, notamment.
Le prophète Isaïe, qui nous a accompagnés particulièrement durant la sainte semaine avec les Chants du Serviteur, nous offre encore une fois les mots de notre foi (Is 54,5-14). Si la résurrection est nouveauté, elle se dit comme un début, comme une création. La résurrection est une nouvelle création, un retour au début, pour autant que le début soit une façon d’exprimer la perfection, le sens, la vocation. Le début, c’est la création : le début, ce sont les épousailles ; le début, c’est la mère qui accueille son enfant.
Ton époux, c’est ton créateur. Est-ce que l’on rejette la femme de sa jeunesse ? C’est incroyable ce raccourci. Dieu fait alliance, comme une alliance conjugale, avec sa créature. Si la résurrection a un sens, c’est que la vie du Créateur est désormais la nôtre. Rien de moins !
Dans mon amour éternel j'ai pitié de toi, dit le Seigneur, ton Rédempteur. L’amour éternel de Dieu ne peut être que salut, rédemption. Notre vie menacée par la mort a besoin d’être récupérée, tirée de nouveau de l’abîme, du chaos, du tohu-bohu. Créer pour Dieu, cela veut dire aimer éternellement ; cela veut dire ne jamais lâcher sa créature ; cela veut dire la sauver. Cet amour n’a rien de la sévérité d’un pater familias intransigeant. Il est tendresse. Quand les montagnes changeraient de place, quand les collines s'ébranleraient, mon amour pour toi ne changera pas, et mon Alliance de paix ne sera pas ébranlée, a déclaré le Seigneur, dans sa tendresse pour toi.
Vous imaginez une ville construite de pierres précieuses, des fondations souterraines que personne ne voit jusqu’au sommet du toit ou le créneau des murailles. Voilà le prix que nous avons aux yeux du Seigneur. Bon, admettons que cette image ne nous touche guère, nous ne sommes pas tous joailliers. Et bien ce qui orne notre monde, ce qui le gouverne, ce sera, c’est la justice. Tu seras établie sur la justice, délivrée de l'oppression que tu ne craindras plus, délivrée de la terreur qui ne viendra plus jusqu'à toi. Et bien ce qui fait nos écoles, nos lieux de savoir et de croissance, c’est le Seigneur lui-même. Tes fils seront tous instruits par le Seigneur.
Un psaume interroge : qui nous fera voir le bonheur. Isaïe prophétise lorsque son texte est annonce de la résurrection : nous goûterons un bonheur sans limites.

5 commentaires:

  1. Merci pour vos deux derniers commentaires : magnifiques !
    Isaïe nous donne les mots, les images... pour dire quelque chose du Mystère. C'est un grand et vrai poète, au sens fort du terme.
    Là où je suis allée pour la célébration du vendredi-saint, la lecture d'Isaïe 53 a été "oubliée", tout simplement pas lue... Quel gâchis que de refuser au peuple venu entourer son Seigneur, ce poème qui éclaire si intensément ce qu'Il a vécu..!
    Mais vos commentaires calment un peu ma colère de ce "recel de bien spirituel" d'hier soir... Merci !

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  2. Votre texte est beau, digne d'intérêt, porteur de cette espérance qui anime tout être humain au fond de lui-même, qu'un jour… Oui, un jour, plus tard, il y aura une autre vie, d'autres possibles. Tous les humains rêvent de cela, depuis toujours sans doute. Demain on sortira de la crise, demain des jours meilleurs, demain « le grand soir », demain « la croissance reviendra », demain le chômage régressera, demain, demain…

    Il y a toujours des signes auxquels on s'accroche, la courbe du chômage se stabilise, l'épreuve de santé s'éloigne, Jésus est ressuscité… Alors un jour « nous goûterons un bonheur sans limite »…
    Je ne me moque pas, je ne minimise pas. Au contraire, je crois… que j'aimerais y croire. Et d'ailleurs, je dis cela de l'humanité des hommes, une conviction indéracinable en moi, (« ma foi » peut-être…) Que l'humanité est inscrite dans une dynamique positive et qu'elle comporte en elle-même plus de germes d'accomplissement que de danger de périr.
    Et pourtant… Je n'arrive pas vraiment à adhérer à ce texte, tout en lui reconnaissant sa force, et la force de l'habitus que vous évoquez.
    Pourquoi donc ?

    Sans doute parce que je n'arrive pas vraiment à croire à la résurrection de Jésus. Au sens fort et premier du mot. C'est-à-dire, au final à un Jésus qui soit Dieu. Si l'on admet cela, bien entendu l'ensemble est cohérent. Dieu ne peut « mourir » il ne peut que ressusciter et revenir à son immortalité après son « aventure terrestre ».
    Sans doute aussi parce que ce côté « le bonheur éternel c'est pour demain », non seulement me gêne, mais encore ne m'intéresse pas vraiment…

    Alors, dans votre texte, ce qui à mon adhésion, c'est « l'amour au présent » ou encore l'amour éternel, ce qui pour moi veut dire exactement la même chose. L'amour est un présent éternel, si je puis dire ainsi. Je dis souvent que toute relation d'amour est éternelle, dans la mesure où elle s'inscrit hors du temps, en raison de sa présence en permanence à l'intime de nous. L'amour de mon père, mort il y a plus de 20 ans, je le ressens toujours comme une présence intérieure. Ce n'est pas seulement de l'ordre d'un souvenir, c'est quelque chose d'expérientiel et de permanent.

    Il m'arrive de parler de résurrection, mais c'est au sens, disons, « profane ». Au sens d'une remise en vie de quelque chose que l'on croyait plus ou moins mort. Dans mon métier d'aide à la personne, je l'ai constaté plus d'une fois. Dans mon histoire personnelle il en fut de même. J'ai besoin de constats. Pas forcément d'argumentaire prouvant. Simplement de pouvoir dire, de pouvoir plus ou moins témoigner : oui, c'est possible, je l'ai vu, de mes yeux vu. La remise en vie ça existe. Ce n'est pas une exception. Quand on se remémore son parcours de vie, on le constate souvent. D'une certaine manière la vie triomphe de la mort. Mais quand même… Chaque être humain décède un jour. La Vie (avec un grand V) continue après nous, continue son processus évolutif, et nous n'aurons été qu'une poussière infime dans tout cela. Poussière infime, mais nécessaire à l'ensemble.
    Alors, croire à la résurrection, au sens théologique ou biblique, à cette promesse de vie éternelle… Comment dire… Je n'ai pas vraiment besoin de ça…
    Sans doute que je me trompe…
    Que me manque-t-il donc ?
    Je poserais volontiers la question : qu'avez-vous « en plus » vous qui écrivez ces lignes ?

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    1. La beauté du texte est celle d'Isaïe.
      Je comprends que la promesse d'un bonheur pour demain ne soit pas suffisante. Et elle ne nous importe effectivement guère. Il faut ce bonheur ici et maintenant, non comme dans l'impatience de l'enfant colérique, mais comme l'inscription dans cette histoire, la nôtre, du salut de Dieu.
      Ce que vous appelez les résurrections dont vous êtes témoin ne sont pas la résurrection dont je parle. Elles en sont les paraboles, ce qui donne la possibilité d'imaginer et de dire le salut de Dieu.
      Mais je suis étonné de ce que vous n'ayez absolument pas retenu les paragraphes du centre de mon texte sur la foi, ce constat, plus fort que ce que nous pouvons en dire, de ce que nous sommes croyants. Certes, si vous ne l'êtes, ce constat ne peut aujourd'hui être le vôtre. Mais c'est cependant avec ce constat que l'espérance est possible du salut de Dieu.
      Il y a cercle vicieux disait Descartes à devoir d'abord croire pour reconnaître ce salut. Et si l'on se situe du point de vue du contenu du croire qui est le sien, du croire comme un savoir, alors oui. Mais le croire est loin d'être épuisé par un savoir que le credo exprimerait. Et il n'est pas le seul dans cette posture. C'est la posture de la relation, de l'amour. D'abord tu aimes, ensuite tu comprends ce que tu fais quand tu aimes. Et si tu ne veux pas d'abord lâcher prise pour t'exposer à l'amour, tu pourras savoir beaucoup de choses sur l'amour, tu n'aimeras pas.
      Pourquoi nous croyons ? Pourquoi nous avons estimons, comme dit Paul, avoir été saisis. De cela, nous ne savons rien, même si rien dans ce saisissement échappe à la raison. Tout cela est rationnel au plus haut point, susceptible d'être analysé, jusqu'à une limite, le fait de se comprendre comme ayant été saisis, c'est-à-dire comme croyants.
      Là encore, il n'y a rien d'original. Il en va de même dans l'amour. Nous pouvons en montrer tout le sens, toute la rationalité, mais rien n'explique pourquoi c'est celui-là, c'est celle-là. Parce que c'était lui, parce que c'était moi. Il n'y a pas de parce que de ce qui est la source. Il n'y a pas de justification de ce qui justifie.
      Alors, si déjà, ici et maintenant, je vis du salut de Dieu, si, déjà, ici et maintenant, Dieu m'appelle ami (cf. Jn 15,15), il ne laissera pas son ami voir la corruption comme dit le psaume. Qu'est-ce que cela veut dire ? Je n'en sais rien, et d'ailleurs peu m'importe demain. C'est aujourd'hui qui compte. Mais si aujourd'hui Dieu est là, ce là ne connaîtra pas de fin.
      Et je veux exiger de ce Dieu la justice, c'est-à-dire aussi le jugement, la condamnation de ce qui tue, jusqu'à la mort elle-même. Sans quoi ce Dieu qui ne serait ami qu'un moment n'est pas crédible. On n'est pas ami un moment quand on est ami. Si celui qui me tient la main a passé la mort, cette condamnation du mal est déjà prononcée, la mort est déjà vaincue.
      Oui, je sais, cela ne saute pas aux yeux. Oui, je sais, c'est même l'inverse tous les jours. Mais cela ne suffit pas à renverser ce constat : je ne peux que reconnaître, sans savoir pourquoi, que je suis croyant.

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    2. "Mais je suis étonné de ce que vous n'ayez absolument pas retenu les paragraphes du centre de mon texte sur la foi, ce constat, plus fort que ce que nous pouvons en dire, de ce que nous sommes croyants." me répondez-vous.

      Oh que si je l'ai retenu ! Même si dans mon commentaire, j'ai mis l'accent ailleurs. J'ai même failli y revenir, mais je n'ai pas voulu encombrer plus avant votre zone à commentaire.
      Mais ceci est sans doute une excuse… Parce que votre texte me met en face de quelque chose que je refuse, ou plutôt qui se refuse en moi, et qui est de l'ordre de ce saisissement dont vous parlez. Dans la réponse, ce que vous évoquez de l'amour est limpide. J'en ai fait l'exact constat tout au long du déroulement de la relation d'amour que je vis avec mon épouse depuis plus de 40 ans. Pour être saisi, il faut s'ouvrir à se laisser aimer, ce qui suppose ce lâcher prise à l'amour que vous évoquez. Dans mon histoire affective j'ai du apprendre dans l'enfance à me méfier de l'amour et de ses démonstrations. Et des membres de l'église catholique ne sont pas étrangers à cette fermeture, loin de là… Alors bien sûr, ce n'était pas de l'amour, mais les apparences trompeuses peuvent… tromper longtemps… Lorsque le saisissement que vous évoquez se travestit en prenant l'apparence des trahisons, il est fort long le voyage que celui qui tente de revenir.
      Le peut-il d'ailleurs vraiment ?

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  3. Isabelle4/4/13 18:23

    Ce que vous dites l'un et l'autre m'a fait penser à cette belle phrase du poète René-Guy Cadou : "Le temps qui m'est donné, que l'amour le prolonge !"

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