Si le jeudi saint est d’après certains la fête des prêtres,
je n’ai guère le cœur à la fête ce soir, avec les drames qui ont été révélés,
presque chaque jour, dans le diocèse de Lyon. Nous sommes atteints, nous,
prêtres de ce diocèse. L’ensemble des chrétiens est touché, et même au-delà.
C’est un cauchemar.
Qui est à l’origine de ces révélations en cascade ? Les
bruits les plus fous courent. Mais l’homélie n’est pas le lieu d’une enquête
policière. L’actualité nous marque ; nos préoccupations et les victimes de
prêtres coupables (certaines sont des prêtres) habitent dans notre prière.
Certes, la fête de ce soir n’a pas à être celle des prêtres
ou du sacerdoce. Nous sommes contraints, malgré les coutumes, à revenir, si
nous n’y étions pas spontanément disposés, au centre, l’acte premier de la
passion de Jésus, son dernier repas. (Cet acte est peut-être le seul que
racontent les évangiles. La crèche où l’on couche l’enfant emmailloté annonce
le tombeau où l’on dépose le cadavre de Jésus dans son linceul. Le procès de
Jésus dans l’évangile de Jean s’ouvre dès le chapitre deux, avec les marchands
chassés du temple.)
Plus que l’eucharistie, du moins dans sa compréhension
restreinte des saintes espèces, c’est la passion que nous célébrons en cette
messe de la Cène du Seigneur. Et s’il s’agit d’action de grâce, selon que Jésus
a prononcé de telles paroles au cours de son dernier repas, elle est pour toute
sa vie. En recevant le pain, nous disons merci à Dieu. C’est la vie qui dans le
pain et le vin est convertie en action de grâce. C’est sa vie (son corps, son
sang) que Jésus offre en partage.
Pourtant, j’en reviens aux prêtres. Comment est-il possible
que ceux qui exercent un ministère, un service, minus, aient pu être et soient encore considérés comme des
notables, des hommes à respecter, des hommes dont l’honneur qu’ils ont parfois
eux-mêmes piétiné, soit sauvé coûte que coûte ? Il y a une sacralisation
du clergé qui est préjudiciable, bien plus que l’anticléricalisme, à l’Eglise,
à l’eucharistie, à la mission de l’Eglise dans la société.
Cela commence par la désobéissance formelle à une injonction
du Seigneur : « N’appelez personne votre "Père" sur la terre :
car vous n’en avez qu’un, le Père céleste. » (Mt 23, 9). Et je ne dis rien
de Monseigneur, ou d’Eminence. On comprend que pour respecter les choses de la
foi, ceux qui sont au service du peuple saint soient considérés au-delà de leur
personne. Mais leur sacralisation est contraire à la foi et dangereuse.
Combien de fois les prêtres se sont pris pour le bon
Dieu ? Ils savaient et savent ce que Dieu pense. Encore récemment, un
confrère parisien écrivait dans La Croix
que c’est le Christ qui parle lorsqu’un prêtre prononce l’homélie. Cette formule
est plus que malheureuse, fausse selon la tradition et insoutenable
théologiquement. Et c’est un prêtre qui rend sa parole inattaquable. Pensée et
fonctionnement pervers narcissiques qui organisent le système pour que rien ne
lui résiste, rien ne le contredise. Si l’on ajoute que ces hommes du service se
sont arrogés le pouvoir, on est au comble de la supercherie. Ils se disent même
magistère, ceux qui sont minus, qui exercent le ministère.
Les prêtres ne doivent revendiquer que le service. Le
problème, c’est que c’est plus facile à dire qu’à vivre. Nous le savons tous,
le service se moque de la réussite de l’existence, de savoir si l’on est
heureux, épanoui ou non. Le service ne donne aucun droit. Celles et ceux que
leur condition sociale a obligé à être au service sont souvent considérés comme
rien. Serviteur, inutile, au sens d’interchangeable, pas indispensable. La
raréfaction du clergé n’a pas peu contribué à rendre les prêtres au contraire plus
indispensables.
On peut espérer qu’il y a moins de prêtres criminels que de
prêtres tout simplement serviteurs, qui font ce qu’ils ont à faire et s’effacent.
Le chemin du service pour certains, pour beaucoup, demande tant de conversion. N’est-ce
pas ainsi seulement qu’il est possible de présider les assemblées au nom de
Jésus, en s’effaçant. Il n’est possible de parler au nom de l’Eglise qu’en
disparaissant derrière celle par laquelle on est chargé de porter sa voix.
Il n’y a de prêtres que des pécheurs, et ce péché devrait
nous tenir loin de toute fanfaronnade. Il n’y a aucun misérabilisme là-dedans
mais nécessité pour la vie de l’Eglise et l’annonce de l’évangile. Nous
commémorons Jésus serviteur qui lave les pieds des disciples.
« Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai
lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme
j’ai fait pour vous. » C’est notre vocation, à nous tous, disciples de
Jésus. C’est notre vocation, à nous prêtres, pour que toute la communauté s’agenouille
aux pieds de l’humanité.
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