Vendredi saint, jour de la passion. Cette année, un 25 mars,
fête de l’annonciation. Certes, liturgiquement, l’annonciation sera célébrée le
4 avril, après la Pâques ; cela n’empêche pas la coïncidence, très rare,
entre le jour de la conception de Jésus et celui de sa mort. Dans le diocèse du
Puy, c’est cause de jubilé. Au Moyen-âge, on aimait ces curiosités calendaires
qui donnaient lieu à des fêtes et des indulgences. Cela attirait les foules. C’était
bon autant pour l’économie locale que pour la gloire du siège épiscopal.
Par-delà l’anecdote, se dit dans toute sa force, la foi en l’incarnation.
Cet homme, conçu et mort, cet homme donc, depuis ce qui rend possible sa
naissance jusqu’à son dernier souffle et son ensevelissement, est confessé
comme Dieu lui-même. On aurait pu trouver plus symbolique de choisir le jour où
Pâques tombe un 25 mars, la résurrection le jour de la conception. Mais ce sont
les dates de la vie humaine dans ce qu’elle a de plus corporel, matériel qui
ont été retenues, du début cellulaire au cadavre déjà soumis à la
décomposition.
A lire la Passion de Jésus, c’est bien cela qui nous étreint.
On n’y raconte pas la fin d’un héros. Point de déclarations emphatiques ou
bravaches. Même la mort de Socrate à laquelle on a souvent comparée celle de
Jésus n’a pas la même sobriété, la même banalité. Les évangiles disent la mort
d’un homme injustement condamné. Toutes les victimes innocentes trouvent ici le
récit de leur propre calvaire. Les martyres du Yémen, il y a quelques semaines
comme les victimes des attentats, les vies massacrées par les violences
sexuelles ou autres, tous racontent avec la passion de Jésus leur histoire,
celle de l’horreur. C’est la matière du corps humain qui est rassemblée dans le
jubilé ponot, c’est la matière de la vie humaine qui est racontée par la
passion de Jésus.
Certes, les évangélistes ont émaillé leurs récits d’allusions
qui permettent de deviner, de confesser un autre sens que la mort des
innocents. Cependant, ils le font avec une telle discrétion que l’on pourrait
ne pas s’en rendre compte. Ils exhibent d’abord la mort de l’innocent. C’est
direct, sans détour, et pourtant sobre ; pas de superproduction débordant
d’hémoglobine. C’est la mort humaine dans ce qu’elle a de plus révoltante qui
est racontée, banalement. Se dire et se redire les derniers instants de celui
qu’on a aimé, comme on l’a toujours fait. Ainsi, nous laissons l’évangéliste
nous raconter comment est mort celui que nous aimons, jusqu’à la mise au
tombeau, lorsqu’on rentre chez soi, que tous sont repartis, qu’il n’y a plus
rien à faire, et l’on reste seul, définitivement privé de celui que l’on
aimait.
On restera ainsi, hébété, abattu, abasourdi,
pendant plus de vingt quatre heures. Pas une lueur de résurrection si ce n’est
le pain eucharistique, rassis, de le veille. On ne peut même pas célébrer une
messe, pas une goûte de vin. Les disciples suspendent tout ce qui pourrait être
un happy end. Avec leur Seigneur, ils
pleurent tous les leurs, que la mort a toujours emportés trop tôt, les
innocents d’abord, victimes de guerres ou d’attentats, de la maladie ou de la
faim. Les églises sont des tombeaux que l’on visite dans un froid aussi glaçant
que le cadavre ou la morgue. Rien ne détourne les disciples de la cruauté de ce
monde.
beau texte, simple et sobre comme une évangile.
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