28/04/2023

Berger de l'autre. La vie en abondance Jn 10, 1-10 (4ème dimanche de Pâques)

Que peut bien signifier ce chapitre 10 (1-10) de l’évangile de Jean pour qui est éloigné de la culture chrétienne. Il y entendrait peut-être que le quatrième dimanche de Pâques puisse être dit dimanche du bon pasteur ; pas celui des vocations. Il y entendrait sans doute une lutte de Jésus, sa revendication d’être lui, à l’exclusion de tout autre, la porte et le berger.

Qui sont ceux qui escaladent le mur de l’enclos, voleurs et bandits ? Ceux avec qui Jésus est en débat à la toute fin du chapitre précédent, « des pharisiens ». La question est alors de savoir qui est pécheur, qui voit, qui est aveugle. Thème classique que l’on retrouve chez les Tragiques grecs. Le vieillard Tirésias est plus lucide qu’Œdipe, lequel ne peut, pour voir la réalité justement, que se crever les yeux !

Jésus, le Juif, Jésus, un fils d’Israël, est en désaccord frontal à propos de la lecture juive des Ecritures de certains de ses contemporains. Juifs pharisiens et Juifs comme Jésus se disputent le sens de la pratique de la Torah. Jésus, conteste une lecture qui en serait un vol, un rapt et prétend ouvrir grand la porte de la vie. Et certains reconnaissent sa voix.

On a l’habitude de dire que le christianisme est un rejet, au sens arboricole du terme, du judaïsme. Pour Jésus, il ne fait pas de doute que sa pratique de la loi est l’expression fidèle et idoine des Ecritures. C’est cette fidélité qui l’autorise. En l’espèce, le pécheur n’est pas celui qu’on pense. Il est des gens dont l’œil est sain mais qui n’y comprennent rien, sont totalement aveugles, et même aveuglés par leur conviction d’être voyants.

Boiter n’est pas pécher, pourrait-on dire. Mensonge en revanche nier que l’on boite. Etre aveugle n’est pas pécher ; prétendre voir juste parce que l’on n’est pas aveugle, si.

La prétention de Jésus à avoir raison contre d’autres, pose la question du sens des Ecritures et de la vie, un ou multiple, unicité ou profusion. Reconnaître à Jésus une pertinence n’est pas difficile, le rôle unique qu’il se donne, paraît folie et violence. Ce qui l’autorise, la rend possible, c’est sa solidarité avec les aveugles qui ne peuvent, sous prétexte de leur cécité, être exclus de l’humanité. Effectivement, Jésus ne laisse aucune place à ceux qui excluent ; ceux-là sont voleurs et brigands de ce que nous avons en propre, des différences, de l’altérité. Le dira-t-on d’intransigeant ?

On comprend que le berger soit lui-même la porte. Il aménage le chemin pour ceux qui ont du mal à voir. C’est son job. Etre berger, bon, c’est prendre soin de la cécité des autres pour que personne ne soit exclu. Etre berger, bon, c’est être la porte sans obstacle pour, quelle que soit ses particularités chacun puisse accéder à la bergerie.

Faut-il pour être disciples se reconnaître aveugle, et ainsi voir ? Faut-il pour être du bon côté, jouer la carte de la culpabilité ? Faudrait-il pour être disciple endosser le misérabilisme ? Nietzsche a justement dénoncé une sorte d’amour de la mort sous prétexte d’être récompensé par une vie ailleurs. La reconnaissance de la vulnérabilité cependant n’est pas morbide, loin s’en faut, éventuellement scandale pour notre suffisance, blessure narcissique. La reconnaissance que nous avons besoin d’autrui est chemin de vie.

Nous pourrions entendre dans ces lignes de l’évangile de Jean la nécessité où nous sommes, chacun et ensemble, à accueillir un chemin qui n’est pas nôtre (au sens de notre fait) et qui l’est pourtant (au sens où il est pour nous et avec nous). Etre en chemin, être en vie, voir, c’est recevoir un asile de qui a préparé pour chacun un refuge à sa fragilité.

Jésus n’est pas Panurge et ses moutons sans personnalités. Si nous avons besoin d’un berger, c’est parce que la vie n’est pas notre production, parce la vie en société réclame que tous reconnaissent l’autre comme nécessaire. Personne ne peut se prendre pour le berger, ou alors il mène les autres à la mortelle tyrannie, celle qu’imposent les voleurs de la place de l’autre, les meurtriers de la différence. Si Jésus se prétend porte et si sa voix est reconnue comme celle du berger, ce n’est pas que d’autres ne seraient aussi bons que lui, mais qu’il refuse définitivement tout ce qui exclut, ce qui nie l’autre. Babel inversée !

Il est berger de l’autre comme autre, il est le berger des différences qu’il vient rassembler, non pour les uniformiser mais pour leur donner de jouer la symphonie de « la vie en abondance », ce qu’Irénée de Lyon appelait, au IIe siècle, la symphonie du salut.

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