07/04/2023

La fin des curés ? Suite à une discussion entre prêtres

Conversation à table lors du repas partagé par les prêtres du diocèse. Six personnes, à ce bout de table, un prêtre ordonné en 2022, un séminariste. Ni l’un ni l’autre ne prend la parole. Quatre prêtres, deux surtout échangent, la petite cinquantaine, une vingtaine d’années d’ordination.

L’un constate que l’archevêque est en train de déconnecter le gouvernement du ministère presbytéral, de dissocier gouvernance et présidence. Il ne sait ce que cela donnera, mais il se dit prêt à jouer le jeu. Il ne pense pas que les discussions théologiques feront avancer la question des ministères ; pragmatiquement seulement les choses avanceront.

L’autre prêtre n’est pas forcément contre ces propos, mais il constate que « les gens » lui demandent d’être partout, aumônier de telle équipe par exemple, alors même que les chrétiens de cette équipe son formés, compétents. Il fait aussi valoir que, surchargé comme il est, si l’on ne s’engage pas comme dans la mission comme dans un sacerdoce (au sens laïc du terme), on ne peut accomplir tout ce qu’il fait. Ce faisant, il compare ce qui ne l’est pas, la disponibilité d’un diacre qui bosse à plein temps en dehors de l’Eglise et la sienne, rémunérée à plein temps par le diocèse. Est-il en outre si vrai que les prêtres sont débordés ?

Personne ne relève ces questions, et les deux interlocuteurs principaux s’accordent pour dire que rien n’a changé depuis 20 ans.

Je me rappelle que, séminariste, ce même type de conversations existait. Cela serait donc depuis au moins 40 ans que l’on sait la baisse inexorable de la baisse du clergé et que rien ne bouge… Depuis le choc de la fin des Trente Glorieuses et du départ de nombreux prêtres dans les années 70, on sait tout cela, en effet.

Ironiquement, je dis que la dissociation présidence/gouvernement est ce qui existe chez « nos frères protestants », comme l’on dit. Personne ne mort à l’hameçon.

Je fais remarquer que dans la discussion on parle gouvernement et présidence, mais jamais annonce, enseignement. Je ne suis pas contre l’oubli des tria munera pour dire le ministère presbytéral, invention sans doute peu pertinente de Vatican II, soufflée par Congar. Mais pourquoi mener la discussion avec deux des trois munera ? Pourquoi comme par hasard, ces deux-là, alors même que, dès Trente, on rappelle que l’annonce de l’évangile est constitutive du ministère des prêtres ?

Je me réjouis que l’on manque de curés, et cela ne va pas encore assez vite à mon goût. J’ai demandé à ne pas recevoir cette charge. Seulement quand il n’y en aura quasi plus, on pourra changer les choses. Je perçois, peut-être à tort, que je scandalise le séminariste et le jeune prêtre. Je peux le comprendre, eux qui rejoignent tout juste l’ordre des prêtres.

Une autre de mes remarques ne paraît pas prendre non plus. Je propose pragmatiquement de regarder comment fonctionne notre Eglise en France depuis 40 ans. De nombreux laïcs en responsabilité ecclésiale, dans les aumôneries d’abord et maintenant dans les paroisses et curies diocésaines, remplissent dans les faits les fonctions d’« anciens » du Nouveau Testament, permettant à la communauté de tenir ensemble, ce que l’on disait en grec presbyteros, d’où vient le mot de prêtre. Non seulement ils ont un rôle d’animation ou de gouvernement, mais ils ont soin de mener ou faire mener la prière et de permettre l’intelligence de la foi. Pourquoi ne pas reconnaître ce que font ces personnes pour ce que c’est, le ministère presbytéral ?

Un grand absent, me dis-je en rédigeant ces lignes, la charité. Cela ne définit pas la tâche presbytérale, semble-t-il, ni la préoccupation de l’organisation de la pastorale. Or précisément, si l’on reprend les tria munera, le service des autres relève de la tâche royale, du gouvernement, qui n’est donc pas qu’organisation de la communauté mais surtout de la charité ! Quand certains pensent que le management ‑ certes nécessaire dans l’Eglise tant la gestion des ressources humaines est souvent défaillante au point que l’on peut parler de maltraitance au travail envers les laïcs en mission ecclésiale et les prêtres ‑ est la solution non seulement au gouvernement de l’Eglise mais aussi à sa mission, je crains que l’on oublie la charité. Il n’y aura de gouvernement sain dans l’Eglise et envisagé comme service que si la justice sociale est respectée et si la charité, le souci des frères à commencer par les plus faibles, en est constitutive. Je continue à penser que tout ministère dans l’Eglise, ordonné ou non, devrait comprendre un temps substantiel pour la mission diaconiale de l’Eglise. La charité est en outre la meilleure annonce de l’évangile et le seul culte qui plait à Dieu.

Je constate combien le modèle sacerdotal du ministère des prêtres (des anciens, presbyteros) empêche de voir, de relire ce que pratique l’Eglise aujourd’hui. Aujourd’hui, il y a bien d’autres presbytres que les ministres ordonnés. Si l’on veut être fidèle à la tradition, il s’impose que ces presbytres reçoivent l’ordination.

La foi chrétienne, dans la messe qui a suivi la rencontre, s’est montrée comme une religion, avec ses superstitions dont finalement peu de prêtres sont disposés à sortir. Mise en scène du presbytérat - plus d’un quart d’heure de procession -, multiplication des gestes qui paraissent magiques ‑ ceux que l’on avait relégués il y a quelques décennies ‑, rassemblement « autour de l’évêque », etc. Le formulaire de la messe chrismale est une véritable catastrophe théologique. On y confond en permanence sacerdoce du Christ et presbytérat des ministres ordonnés. Non, le sacerdoce du Christ, si l’on veut parler comme l’épître aux Hébreux, n’est pas celui des presbytres. Il est celui de toute l’Eglise. Mais la nouvelle traduction du missel ne fera rien pour aider à l’entendre. On devrait traduite : « et tu nous as estimés dignes de nous tenir debout devant toi pour te servir comme prêtres », étant entendu que le nous de la prière eucharistique est celui de toute l’Eglise dont ceux qui président le rassemblement eucharistique ne sont que le porte-voix.

 



3 commentaires:

  1. Heu, quand je dis que nous avons été estimés dignes de nous tenir devant toi pour te servir, je pense toujours à toute l'assemblée. Ca semble aller de soi, non ?
    Certains imaginent-t-ils vraiment que c'est du prêtre que l'on parle ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Admettons que cela aille de soi, encore que je voudrais en être certain. Mais ce que je visais, c'est la traduction fautive du nouveau missel, pourtant revue pour être plus fidèle au latin.
      Ministrare est rendu par servir. Et ce n'est pas faux. Sauf que ce n'est pas tout à fait n'importe quel racine, mais la même que ministère. De sorte que l'on aurait dû consentir au pléonasme, et dire "pour servir comme ministres, ou comme prêtres".

      Supprimer
  2. Y M Blanchart nous a bien fait comprendre que "presbytes" apôtres" "disciples" "épiscopes" "diacres" n'étaient pas des termes interchangeables et, surtout, n'avaient pas, aux premiers temps de l'Eglise, la signification que l'on donne maintenant à "prêtres" évêques" "diacres". (Contre le cléricalisme, retour à l'Evangile Salvator, 2023

    RépondreSupprimer