Que se passe-t-il en cette nuit ? Qu’arrive-t-il à Dieu, si l’on peut dire, dans la mort et la résurrection de Jésus ? Je ne veux pas, rassurez-vous, faire de la psychologie divine. Qu’advient-il à l’idée de Dieu en cette nuit ? Que devient Dieu en cette nuit ?
Une option fort courante pourrait se résumer ainsi : circulez, il n’y a rien à voir ! Circulez, rien n’a changé ; continuez à tourner en rond : circulez. Le tombeau est vide, il n’y a rien à voir. La mort de Jésus n’a été qu’une péripétie qui ne change rien en Dieu ni à Dieu, parce que Dieu est l’immuable. Il demeure le tout-puissant, et cela n’est jamais aussi manifeste que dans le rappel du fils de la mort. La croix est moment aussi douloureux que vite dépassé. Nous ne sommes pas les disciples d’un mort mais de celui qui a triomphé de la mort.
Le problème, c’est que Paul écrit par exemple : « Je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. » (1 Co 2, 2) La résurrection n’efface pas la mort, elle n’est pas un retour à la vie, statu quo ante. C’est le crucifié qui apparaît aux disciples, avec la trace des clous et de la lance. La mort est indélébilement inscrite en Jésus.
Il serait étonnant que cela ne change rien à nos compréhensions de Dieu, qu’avec cette nuit, rien n’advienne à Dieu. Paul le dit, dix versets plus haut : « Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens. » (1 Co 1, 23) Dieu désormais, et jusqu’à la consommation des siècles, fait scandale pour les gens religieux et paraît folie pour les gens de raison. Tous, Juifs et les nations, nous devrons changer de référentiel. La lecture de Ecritures est affolée et les disciples paraîtront athées aux superstitieux.
Génocides, Shoah, morts. Que fait Dieu ? Sa toute-puissance est incantation qui le discrédite ; il ne mérite pas d’être cru le tout-puissant qui ne lève pas le petit doigt. Dieu n’est pas le tout-puissant puisque le fils est mort, puisque l’humanité souffre. Lui, il veut la vie, il n’a pas fait la mort (Sg 1, 13). Sur la croix, Dieu se révèle ce qu’il est, du côté des sans-puissance. La toute-puissance de Dieu est la fin de la toute-puissance ! L’humanité, mortelle donc, de Jésus, est le lieu à partir duquel articuler le nom du Père. Ce qui advient à Dieu en cette nuit, la non-puissance face à la mort le révèle. Folie, scandale, la mort dit Dieu !
Dieu à la croix et dans cette nuit se montre dans la gratuité, dans la grâce comme l’on dit. Il n’est pas la baguette magique du Deus ex machina, mais il est là, dans le retrait, gratuitement, avec les sans-puissance. Il n’est pas le Dieu Dominus, omnipotens parce qu’il est le Dieu pour nous. « Du Père tout-puissant au Dieu philanthrope », écrit Joseph Moingt.
On comprend que la résurrection de Jésus ne soit pas l’étape suivante, après sa mort, le mot supplémentaire et nécessaire sans lequel « vaine serait notre foi ». Elle permet seule et seulement d’entendre la révélation du Golgotha. Car à la mort tout est dit de l’existence de Jésus pour nous et du Père pour Jésus et pour nous. Ne rien vouloir savoir sinon Jésus crucifié, c’est renoncer au tout-puissant pour laisser Dieu se montrer ce qu’il est « ami des hommes ». Propter nos homines et propter nostram salutem.
« Dieu pour nous » c’est ce qu’il est, car Dieu ne saurait se montrer autre qu’il est. Il ne réserve rien pour lui. Il ne prend rien et donne tout, et se donne. Voilà ce qui advient à Dieu : on ne parlera pas de lui à partir du bien connu de Dieu, compréhension des religions et purification conceptuelle subséquente par la philosophie. La mort de Jésus, où enfin la création est achevée dans l’affrontement avec le mal et la mort, dit Dieu, est le dire de Dieu.
Le Dieu trinité n’est pas une abstraction de spécialistes pour tenir ensemble un monothéisme religieux ou métaphysique et la divinité de Jésus. La trinité est l’expression du Dieu ami des hommes ainsi que le vit Jésus ; « être pour » c’est se donner, c’est vivre jusqu’à l’épuisement dans le don qui fait vivre les autres et l’univers. Il rassemble tout en son unicité.
La pré-existence de Jésus est une pro-existence, existence pour. Plus que le Verbe éternel qui s’incarnerait un jour, Jésus est le premier-né d’entre les morts que nous fêtons cette nuit. Dès lors, la vie en présence de Dieu est la vie de Dieu en nous, elle est le don de son Esprit en nous. L’Esprit qui donne la vie, donum et vivificantem, ressuscite Jésus et nous associe définitivement à la pro-existence de Jésus. A notre tour de nous laisser enrôler dans la pro-existence, exister pour les frères et sœurs.
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