09/02/2013

Ne plus rien savoir de l'appel de Dieu (5ème dimanche du temps)


Le récit de l’appel des premiers disciples en Luc est original, intégrant l’épisode de la pêche miraculeuse. Chez les autres évangélistes, l’appel des disciples se fait sans que ceux-ci n’aient rien à dire. Ils semblent obtempérer, aveuglément, à l’ordre de Jésus « Suis-moi ».
On ne peut pas dire que le récit lucanien dévoile davantage le cheminement intérieur du disciple. Mais Pierre a déjà fait quelques pas avec Jésus, le connaît déjà un peu. Il l’a accueilli dans sa maison, on ne sait pas bien pourquoi. Avait-il entendu la réputation qu’on faisait à ce Jésus ? Il l’a vu guérir et faire reculer le mal. L’a-t-il entendu comme les foules qui écoutaient la parole ? Il l’a peut-être cherché, alors qu’il s était retiré dans un lieu désert.
Mais tout cela ne dit pas grand-chose de Pierre, plutôt de Jésus. Et c’est bien normal. Au début de l’évangile, comme dans tout l’évangile, c’est de lui que parle Luc.
La première lecture permet de mieux comprendre l’épisode de cette pêche miraculeuse. Nous ne sommes certes pas dans le temple, comme Isaïe, mais au bord du lac. Pierre comme Isaïe confessent leur indignité : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! » « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur. »
Qu’est-ce qui suscite dans les deux cas ce sentiment d’indignité ? Ce que l’on appelle une théophanie, une manifestation de Dieu. Le langage technique a l’intérêt de ne pas entrer dans les détails de ce qu’est une telle manifestation, ce qu’elle représente, historiquement. Il a l’inconvénient de laisser libre cours à toutes sortes de variations imaginatives, depuis la matérialité d’un miracle jusqu’à une simple motion psychologique.
Pour l’heure, il suffit d’accorder ce que dit le texte à travers le genre littéraire de la théophanie : Isaïe comme Pierre ont la conviction, voire l’évidence, de faire une certaine expérience de la présence du Très haut.
Ce qui est curieux, chez Pierre, c’est que cette expérience ne se passe ni dans le temple, ni lors d’une prière, ni devant un phénomène naturel, mais dans la rencontre d’un homme qui passe au bord du lac. Pour être plus exact, si le phénomène naturel ne réside pas dans une nature qui montre sa force ou sa beauté, il y a concomitance, dont Pierre ne semble pas douter un instant, entre la présence de cet homme au bord du lac et des filets de poissons pleins à craquer après une nuit qui avait laissé bredouille.
Le lieu de sacré, de la théophanie s’est déplacé. Il n’a désormais plus de lieu repérable si ce n’est dans le passage de cet homme qui assume l’humanité, apprendra-t-on plus tard, si ce n’est dans le passage de tout humain.
Alors la suite de Pierre n’est pas tant réponse à un appel que réaction à une théophanie. Et sa réaction est assez proche de celle d’Isaïe : les deux hommes sont envoyés. Comme si l’expérience religieuse ne pouvait que s’achever dans la mission. Comme si l’expérience de Dieu n’avait de sens qu’à être attestée devant les autres, le contraire de ce que nous disons bien souvent, rien de personnel, rien de privé.
Le disciple est responsable de la théophanie. Il n’est pas seulement invité à répondre, pour lui, mais encore à être responsable devant les autres de ce qui devient alors sa mission. Il ne peut que prendre des hommes dans le mouvement de la présence divine.
Mais comment se connaît cette présence ? Qui d’entre-nous peut dire avoir été le témoin d’une théophanie ? Une nuit à ne rien prendre, une nuit, la nuit. Il n’y a rien à voir. L’expérience religieuse n’est appréhendable justement que dans la responsabilité du disciple. La seule objectivité, si l’on veut céder aux exigences de la pensée moderne, de la théophanie est celle de la mission qu’elle suscite. Mais comment savoir que la mission du disciple est celle qu’il a reçu de Dieu et non la volonté de puissance après laquelle court, par exemple, le gourou, funeste fondateur sectaire, laïc, prêtre ou évêque charismatique ?
Il n’y a pas d’objectivation possible de la théophanie, de l’expérience de Dieu. On sortirait de la foi, on voudrait qu'il en aille de l'appel comme de la technique qui nous fascine au point de nous façonner. Seule la mission atteste l'expérience, mais rien ne garantit la vérité cette mission, pas même l’Eglise qui a été, est, aussi, si infidèle à sa mission…
C’est pour le disciple d’abord, celui même qui se dit indigne, que la théophanie échappe, jamais garantie, sinon par l’audace de sa réponse et de sa mission, si fragiles. Son indignité le mènera sans doute à ne plus savoir même s’il est disciple. Ainsi Thérèse de Lisieux condamnée à vouloir croire ou d’autres qui ne peuvent que constater, premiers étonnés, qu’ils sont croyants. C’est tout.
« Lorsque je chante le bonheur du ciel, je n'en ressens aucune joie car je chante simplement ce que je veux croire. » Le texte de Luc nous épargne l’exposé indécent de ce que ressent Pierre, l’expression de l’évidence de sa vision. Ce n’est pas pour que nous en venions à parler de notre rencontre de Dieu autrement que dans la mission que nous en recevons.

5 commentaires:

  1. Comment rendre compte, alors, de l'espérance qui est en nous ? Si la mission est le seul discours que nous puissions avoir et si rien ne peut garantir de "l'authenticité" (le mot est mal choisi) de la mission, comment en témoigner ? En couple avec une personne non croyante, imprégnée malgré elle du discours de l'Eglise et d'une culture "piétiste" de la religion, je n'arrive pas à parler de Dieu. Les mots me manquent, et les mots sont indispensables dans une relation. Je ne peux pas accepter que la mission suffise et me taire à côté, ce serait méconnaître l'importance des mots dans la relation humaine.

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  2. Je ne suis pas certain de comprendre. La question serait, quelle est votre mission auprès des vôtres, de votre épouse ? Ce peut être une mission avec les mots. Mais quels mots ou quelle mission, c'est la même question.
    Quelle est notre mission vis-à-vis de notre conjoint. Pas sûr que ce soit de le convaincre, de le convertir. Je n'ose imaginer que ce soit votre but...
    La deuxième lecture de dimanche dernier pourrait permettre de répondre rapidement. De la foi, l'espérance et la charité, la plus grande des trois, c'est l'amour.
    Mais si vous voulez absolument des mots, pour que ce ne soit pas des maux, il vaut mieux qu'ils soient ceux de la fragilité du croire. C'est lorsque je suis faible que je suis fort, avait encore écrit Paul.

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  3. Bien sûr, mais comment dire dieu ? Je sais bien ne pas être le premier à me poser cette question, mais elle s'impose aujourd'hui dans mon quotidien. Je peux choisir de ne rien dire, d'aimer, de vivre et de faire vivre le royaume à la maison comme au travail, mais il faut bien répondre à ceux qu'on aime : qui est dieu ? Il faut des mots, ne serais-ce que par nécessité de rendre intelligible notre foi. En quoi croyons-nous, si nous ne sommes pas capable de l'exprimer à ceux qui n'y croient pas !

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    1. Je ne comprends pas ce que vous me demandez.
      Comment dire Dieu ? Soit vous cherchez des recettes. Il n'y en a pas, contrairement à ce que font peut-être penser des prosélytes du genre "y'a qu'à" "faut qu'on". Il n'y a pas de mode d'emploi. La mission n'est pas affaire de méthode. On vous dit comment fonctionne votre téléviseur. Vous ne trouverez pas comment réussit la mission. Parce que cette expression, mission et réussite, est impossible.
      Soit vous cherchez une réflexion sur ce que signifie dire Dieu, et je répète que le dire n'est alors n'est pas d'abord des mots. Un texte sur ce blog ouvre, je l'espère, des pistes (http://royannais.blogspot.com.es/2012/10/la-nouvelle-evangelisation-ou-la.html)
      Soit vous cherchez pour vous-même à mieux saisir ce que vous croyez, parce que finalement vous êtes, ainsi que Thérèse de Lisieux, déstabilisé par la non-foi, parce que peut-être, notamment au contact de non-croyant, l'évidence naïve de votre foi ne tient plus. Alors, c'est votre chemin de foi que vous essayez de mener, ou sur ce chemin que vous voudriez que l'Esprit vous mène. Là encore, pas de recettes. Des balises cependant, à commencer par l'amour du frère. Mais des mots aussi, que certains osent avancer. Il y a de la littérature, et de la bonne. Je ne sais si c'est ce que vous cherchez. Le dernier M. Bellet, Quand je dis credo, chez Bayard, est vraiment bien.

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    2. Je me permets de vous renvoyer aux pages 134-137 dont je recopie ici de larges extraîts.
      http://royannais.blogspot.com.es/2013/02/la-transmission-de-la-foi-m-bellet.html

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