« La nécessaire liberté de parole défait les clivages établis. C’est
au point qu’une parole s’inspirant de la foi peut se faire proche de l’incroyant
et demeurer incompréhensible ou odieuses à d’autres croyants. Cela peut advenir
ici même.
[…] Ce qu’on nomme la "transmission de la foi" ‑ ou
encore la "mission" – n’est plus la tâche de faire admettre à autrui un
certain nombre de « vérités », elle passe tout entière dans ce rapport
parole-écoute où la parole évangélique doit être au plus haut de l’écoute à la
foi de l’Evangile et de celui à qui l’on parle. Ce qui doit se dire doit
témoigner de la présence de l’Esprit dans la relation actuelle. Ce n’est pas d’abord
affaire de contenu, mais de relation. C’est pourquoi un discours "chrétien" peut signifier en fait brutalité, mépris, inintelligence, coupable inconscience ;
et ce d’autant plus que les dérives historiques du christianisme, encore
inscrites, peuvent le rendre intolérant. En revanche, une parole qui n’en parle
pas peut le dire en vérité. Il y a une logique de l’Esprit à laquelle celui qui
ose parler en un tel lieu ne peut que se fier. […] La liberté qui peut user de
toute langue pour être sa Présence, c’est que toujours peut s’ouvrir le chemin
qui mène à l’écoute pleine du Vivant. Puisse celui qui parle en être là
lui-même ! » […]
Parole écoutante ! Elle autorise chaque être humain à vivre selon sa
voie, tenant compte de tout ce qui fait sa réalité. Elle ne veut plus ce "bourrage" religieux où a quelquefois versé la spiritualité "chrétienne". Elle
veut le changement du monde, la transfiguration du réel. Elle accepte l’extrême
diversité des expériences, y compris dans la pensée. Elle veut tout, elle croit
tout, elle espère tout.
Ce que porte l’Evangile, c’est l’ambition, la folle ambition de sauver l’humanité.
Totalement. En tout homme et pour tous les hommes, ceux du dehors et ceux du
dedans, ceux d’en haut et ceux d’en bas. Que tous, en tout leur être, soient
arrachés au pouvoir de la mort, élevés à la dignité extrême, divine.
Ambition folle pour toute sagesse qui se règle sur l’ordre apparent de ce
monde, frêle surface au-dessus du chaos. Scandale permanent pour tout ce qui,
par religion ou autrement, veut enfermer les humains dans le cercle d’un
pouvoir.
Voilà le plus grand désir, qui correspond en l’homme à ce qui se tient en deçà
de tout et par-delà tout, comme origine et source de ce surhumain. Ce qui se
dit en la formule : Dieu est amour,
le Dieu, ce Dieu est la haute tendresse même. Si l’on parvient à l’entendre là
où elle parle, cette formule est l’explosion de ce que nous nommons "réalité" où se réalise en vérité le plus grand possible de tous les possibles humains ;
disons même, cet impossible à partir duquel nos possibles peuvent se déployer
sans nous exterminer (nous savons désormais que ce que nous goûtons comme notre
puissance peut être notre fin). »
M. Bellet,
Si je dis Credo, Bayard, Paris 2012,
pp. 134-137
Merci de ces extraits, je suis "l'anonyme" du précédent billet.
RépondreSupprimerJe crois bien comprendre la vanité de toute parole qui ne soit pas d'abord écoutante, de toute parole qui se situe en-dehors de la relation à qui elle s'adresse. Mais tout de même, je ne veux pas lâcher ma question : si tout doit s'entendre, si tout doit se vouloir, si tout doit être cru, si tout doit être espéré, comment répondre à cette question si bête qu'elle en est insupportable : qui est Dieu ? Ce que dit M. Bellet, ce que je dis souvent par désespoir de ne pas trouver d'autres mots que ceux du quotidien, "Dieu est amour", n'est pas une réponse. Ou alors, si, c'est une réponse qui exclut toutes les autres et qui déconstruit tout ce que l'Eglise dit du Dieu qu'elle annonce. Bref, je suis perdu Si j'en crois ce que vous dîtes, c'est sans doute une très bonne chose.
Merci de soumettre à notre médiation cette magnifique citation. Je partage d'ailleurs l'analyse d'anonyme. La réponse, "Dieu est amour" précédée dans la citation de Bellet du puissant rythme de l'hymne à la charité de la lettre aux Corinthiens est puissamment déconstructrice. C'est là que ce trouve ce que Jacques Ellul désignait comme "La subversion du christianisme". La capacité de cette Parole à échapper à la chape des mots et des concepts a sauvé l'Évangile de l'institutionnalisation et le l'idolatrie.
RépondreSupprimerComment cela, "Dieu est amour" n'est pas une réponse ?
RépondreSupprimerSi réponse veut dire solution, résorption, dissolution de ce qui interroge, vous avez raison. Mais vous n'en trouverez pas de telles réponses. Ou du moins si, vous en trouverez, mais elles ne marchent pas, parce qu'elles ne peuvent pas marcher.
La réponse dont il s'agit est réponse à un appel et non ce dont il s'agit dans un examen, la bonne ou la mauvaise réponse.
Je découvre ces jours une citation de Rahner, sans référence malheureusement (mais d'avant 1969) :
"Le christianisme n'est pas la formule qui explique totalement le monde, il est don intime et radical de soi-même au mystère de l'amour qui appelle, qui pardonne et qui se communique."
Oui, l'évangile est corrosif, ce qui ne veut pas dire qu'il ne soit pas tendresse. Oui, il est déconstruction parce que toujours nos sécurités, y compris spirituelles, sont dénoncées comme telles, pour nous rendre à l'aventure, au vent de l'Esprit, à l'avenir réconcilié, au souffle du désir. N'est-ce pas exactement pour cela que nous entrons en carême, que nous allons au désert ?
Comme le dit Bellet, ce n'est pas banal ce 'Dieu est amour" si cela signifie justement notre destinée, notre vocation, la vie divine.
Je ne sais pas bien quoi dire de plus. Y aurait-il plus à dire que l'évangile ? Seulement à apprendre à se plier à sa force de délocalisation, si je puis dire, sa lutte contre les idoles, y compris celles que construit le catéchisme.
Je vous l'accorde, trouver les mots d'une aventure sui generis n'est pas chose aisée. Ils viendront de ce que nous nous livrons à cette aventure, laquelle n'est authentique que dans le souci des frères, la charité.