Je m’essaie à un commentaire de la seconde lecture (Rm 5, 12-15)
Faut-il parler du péché pour parler de Dieu ? La vie de Jésus en la chair eut elle été nécessaire si l’homme n’avait pas péché. La tradition théologique est passablement divisée sur le sujet et la théologie fiction est chose fort dangereuse. Disons que, avec ou sans péché, la vie de Jésus en la chair est le lieu où l’homme est conduit à l’achèvement de sa vocation : participer à la vie du Père, du Fils et de l’Esprit.
Jésus non seulement délivre du mal mais encore est le don de la vie même de Dieu, connaissance de Dieu. « La vie éternelle, écrit Jean, c’est qu’ils te connaissent, toi et celui que tu as envoyé. » Jésus est le chemin de la divinisation de l’humanité de sorte qu’il achève le projet créateur de l’humanité, sa divinisation, en s’unissant à nous pour que nous soyons unis à Dieu. « Il s’est fait cela même que nous sommes pour que nous soyons cela même qu’il est », écrit Irénée de Lyon. C’est notre vocation, notre destin. Non pas faire des courbettes religieuses, mais partager la vie de Dieu, vivre de sa vie.
Ainsi donc, il n’est pas nécessaire de parler de péché pour parler de Dieu. La grandeur d’une humanité divinisée exprime la gloire du Père, créateur d’un monde bien fait. Pourtant, il n’est pas possible de ne pas parler du péché : le mal nous habite, nous commettons le mal.
Est-il possible de venir partager le pain de vie, est-il possible de nous nourrir de la Parole si nous sommes pécheurs ? N’y a-t-il pas contradiction à nous dire chrétiens, pratiquant du culte, si nos vies sont de part en part traversée par notre mal ? Certes, son pardon est infini, certes, il appelle les pécheurs et non les justes. Mais quel sens ont nos gestes liturgiques et notre profession de foi, si nous n’avons pas l’intention de changer de vie, si nous ne rejetons pas le mal.
La profession de foi baptismale interroge les catéchumènes : rejetez-vous le mal et ce qui conduit au mal ? La prière dominicale nous fait dire : ne nous laisse pas entrer en tentation mais délivre-nous du mal.
Etre disciples sans reconnaître et rejeter le mal en soi, sans vouloir changer de vie est mensonge. Il y a en prison ou parmi les gens de mauvaise vie, comme l’on dit, des saints, de ceux qui s’accrochent à Jésus pour que leur vie prenne un tour nouveau. « Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume. » Il y a partout, y compris en prison ou parmi les gens de mauvaise vie, des hypocrites, souvent religieux, qui ne voient pas ou ne veulent pas voir le mal en eux, mais n’ont pas l’intention de laisser l’Esprit de sainteté les habiter.
Que chacun s’examine.
La sainteté est pour tous, ceux qui se croient parfaits comme ceux qui se savent pécheurs. Ceux qui se croient parfaits doivent commencer par arrêter de se la péter ; sans reconnaître le mal en nous, le mal que nous faisons, nous ne pourrons jamais accepter que la sainteté de l’Esprit nous traverse, nous renouvelle. Ceux qui se savent massacrés par le mal en eux, ceux qui reconnaissant avoir sinon massacré du moins piétiné autrui, en appelle avec justesse à l’Esprit de sainteté.
La sainteté, ce n’est pas pour quelques-uns à qui l’on met un cierge. C’est ce qui fait que nous ne sommes pas trop menteurs à nous dire chrétiens. C’est le don gratuit de Dieu qui nous recrée à son image. Encore faut-il accepter ici et maintenant de nous laisser recréer.
Ou alors, nous mettons le projet de Dieu, Dieu lui-même, en échec, nous luttons contre Dieu, à nous en faire l’ennemi. La sainteté, c’est sans doute quand nous serons purifiés dans le face à face brûlant avec le seul saint. Mais c’est maintenant, depuis que Jésus nous appelle à le suivre, à vivre comme lui, lui qui a mené l’humanité à sa perfection.
Greco, Saint François, vers 1590, Musée de Pau
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