Nous confessons que l’Eglise est apostolique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Au long des âges, le mot apostolique a changé plusieurs fois de sens. Les moines cénobites ont revendiqué le terme parce qu’ils trouvaient leur modèle dans le collège des Douze réunis autour de Jésus pour écouter sa parole et en vivre.
Plus récemment, apostolique voulait dire missionnaire, contre-distingué de contemplatif. La vie apostolique est la vie du disciple missionnaire comme dirait François. Le cléricalisme renforcé qui s’est développé depuis le dernier concile, confisque ici ou là l’adjectif pour le clergé. On parle ‑ c’est une expression nouvelle, absolument pas traditionnelle ‑ de ministère apostolique. On prétend ainsi exprimer de façon renouvelée la théologie des ministères ordonnés. Mais c’est une pente que je juge dangereuse, comme s’il fallait encore et toujours une distinction entre les ministères ordonnés ou non, autrement dit, entre le pouvoir et le reste.
Un apostolos ‑ traduire est déjà choisir un sens et mieux vaut ici transcrire ‑ est un envoyé et, par conséquent, un messager. Il n’y a pas la moindre discussion possible. L’épitre aux Hébreux parle de Jésus comme de l’apostolos, « l’envoyé et grand prêtre de notre foi ».
L’évangile de Mathieu ne connaît quasi pas le terme. Il est employé une seule fois, que nous venons de lire (Mt 9, 36-10, 8). Même chose chez Marc et Jean, le mot est un hapax, n’est pas traduit par apôtre chez Jean et ne devrait pas l’être chez Marc. C’est un terme de Paul et de Luc qui l’emploient chacun en un sens fort différent.
L’unique usage en Matthieu est sans doute une harmonisation avec Luc et la manière de parler qui se met en place après lui, lorsque les Douze et les Apôtres sont identifiés. C’est Luc qui veut les confondre. Paul n’a jamais parlé ainsi.
Prenons le texte de Matthieu et lui seulement, comme nous le recevons aujourd’hui. Qui sont les apôtres ? Une totalité, un ensemble de douze hommes. Que font-ils ? Ils sont envoyés avec des consignes précises. Devant la situation d’errance de l’humanité, ou plutôt d’Israël, pris aux tripes, Jésus invite à avoir le souci de la moisson. C’est curieux. Il n’y a rien à semer, seulement à moissonner. Le travail est déjà fait et il faut seulement ne pas laisser se perdre le fruit de la terre faute de moissonneurs.
Les ouvriers de la moisson, si ce sont les mêmes que ceux dont on parle juste après ‑ l’emploi du verbe puis du substantif envoyer/és invite à le penser – doivent récolter le grain parce que les foules sont comme des brebis sans berger ! Quel rapport ? Les foules seraient incapables de se rassasier d’un fruit pourtant déjà mûr et abondant. La mission des moissonneurs consisterait à consoler les foules en leur permettant de jouir de l’existence, profusion de la moisson. Une Eglise apostolique serait une assemblée chargée de consoler les foules en leur permettant de jouir de la terre.
Si l’on s’attache aux consignes données aux douze disciples que le texte semble appeler sans explication douze apôtres immédiatement après, cela pourrait confirmer ce sens d’apostolique. Guérir, ressusciter, purifier, libérer. Voilà leur mission. Soulager, rendre à la vie. Ils sont chargés de donner, de rendre la vie comme un don. Apostolique veut dire gracieux. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. »
Et cela se fait désarmé, nu, sans protection et encore moins moyens d’attaque, « sans le prestige » dirait Paul. Les méthodes des évangéliques de tout bord peuvent aller se rhabiller. Il y a la pauvreté d’une seule annonce, à moins que, parce qu’elle est à ce point renversante que c’est bien suffisant. « Le Royaume des cieux est tout proche. » Dès lors qu’il y a force, il y a mensonge, parce qu’on voudrait contraindre là où l’on n’a pas su indiquer (par) la grâce. Ne vivant pas graciés, gratifiés, gracieux, on met en place des stratégies pastorales. Foutaise ! On s’enferre au lieu de se convertir.
Je crois l’Eglise apostolique, je crois que l’Eglise est envoyée parce qu’elle a tout reçu et est chargée de soulager des foules, les rendant à la jouissance de l’existence. Rendre à la vie, guérir, ressusciter les morts, libérer, voilà la mission de l’Eglise apostolique. Le reste, on oublie.
Merci de partager vos commentaires, toujours lumineux et pleins de souffle !
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