15/06/2023

Comment dire « Dieu est amour » ? (Sacré-Cœur)

    
F. de Goya, Saturne (Chronos) dévorant ses enfants
vers 1819-1823 (détail)

 

Dans son récit, L’usure d’un monde, François-Henri Désérable décrit la justice en Iran. « La méthode est toujours la même : on vous arrête, on vous enferme, on vous torture, on vous extorque des aveux en vertu desquels on vous traduit devant un tribunal révolutionnaire pour "inimitié à l’égard de Dieu" ou "corruption sur terre" ‑ chefs d’accusation assez vagues pour y inclure à peu près tout ce que l’on veut, et vous condamner à la peine capitale. »

Je tombe sur cela à quelque jour de la fête du Sacré-Cœur. Condamné pour « inimitié à l’égard de Dieu ». Je relis plusieurs fois. J’ai mal dû lire. Mais non, c’est bien ça. Et là, paralysie. Célébrer l’amour de Dieu que l’on exprime en des termes et une iconographie désuets, surannés ‑ mais enfin, on y croit à cet amour de Dieu ! ‑, célébrer l’amour de Dieu quand certains sont condamnés à mort pour « inimitié à l’égard de Dieu ». Le court-circuit est tel que c’est la sidération. Plus rien ne parvient à être pensé.

On pourra dire qu’il ne faut pas tous mélanger et que les Mollah iraniens ne parlent pas de Dieu, le choc demeure. Et en plus, ils sont convaincus d’en parler ! Condamné à mort pour « inimitié à l’égard de Dieu. »

Que faisons-nous, nous autres, à parler de l’amour de Dieu ? Que faisons-nous à dire que nous l’aimons ? Que nous soyons pris en flagrant-délit d’inimitié à l’égard de Dieu, pour autant que cela puisse s’observer en flagrant-délit, ça pourrait nous arriver. Nous savons bien, dans le sanctuaire de la conscience, que nous sommes en inimitié avec lui, ne serait-ce qu’à l’être avec les frères.

Nous utilisons des mots trop chargés, trop lourds, grevés d’un poids que nous ne remuons pas du petit doigt. Nous rendons-nous compte de ce que nous disons ? Dieu nous a aimés. Nous avons connu l’amour ?

Ne devrions-nous pas nous taire, tant chaque mot de notre profession de foi est contredit par nos vies, tant nous faisons de chaque mot de la foi, en définitive, un mensonge ?

Voilà pourquoi le discours d’une institution, notamment religieuse, est toujours pourriture, mensonge, y compris et surtout lorsque ce qu’elle dit est exact. La vérité n’est pas une affaire de mots. Elle l’est plus souvent de silence.

La seule manière de ne pas mentir à être disciple d’un Dieu amour, de ne pas trop se bercer d’illusions, c’est de se gaspiller à aimer comme un prodigue, de se consumer à aimer. Nous parlons parce que nous n’aimons pas. Nous parlons pour dire ce que nous ne faisons pas. Nous le ferions qu’il n’y aurait pas besoin de le dire.

Nous en connaissons un qui s’est tu. « Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. » Il est le témoin croyant et véritable, martyr de la vérité de l’amour, o` ma,rtuj o` pisto.j kai. avlhqino,j.

Etre dans le monde, ici, aujourd’hui, à sa suite ma,rtuj pisto.j kai. avlhqino,j, c’est tout. Aurions-nous d’autres chemins pour rendre crédible un Dieu qui aime, même ceux qui ne l’aiment pas, un Dieu qui aime, surtout, ceux qui sont accusés et détestés de ne pas l’aimer ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire