Lors d'une émission de Jean-Marie Domenach, en juin 1973, pour les 350 ans de la naissance de Pascal.
Le centre de la pensée de Pascal. « Il s’agit avec Jésus-Christ d’un centre ex-centrique, d’un entre-deux, de ce que fait apparaître le jeu, l’antinomie des extrêmes qui le fuit. Ce milieu du sens se trouve posé, indiqué par Pascal, par le fait que finalement le trait d’union entre Jésus et Christ, entre homme et nature, est la coupure, l’élément de fuite, d’évanouissement par où il est possible de saisir comment se situe le problème d’une une foi chrétienne, à la fois centre et béance, à la fois milieu et écart, fuite par rapport à des discours constitués. Ce que Pascal appelle l’union étonnante et nouvelle représentée par Jésus Christ, [se repère dans un] faire apparaître des contrariétés, pour qu’en ressorte quelque chose qui n’est pas posable à côté ni au-dessous d’elle. »
« Le travail de Pascal consiste à créer de l’absence, à remettre en mouvement, à rendre impossible le repos. On ne peut pas se reposer sur quelque chose. Partant d’un certain nombre d’équilibres (politiques, sociaux, de phénomènes de langage, de coutume, de connaissance) Pascal fait apparaitre les forces contraires au travail et dissimulées dans les inerties ou les stabilités, il fait apparaitre les duplicités qui sont cachées sous les fixités. Il y a un point d’où l’on voit s’effriter, se disséminer la stabilité qui était vrai en gros et de loin. Chez Pascal, il y a une stabilité qui joue, mais qui n’est que l’instable équilibre de forces contraires. Sa manière d’écrire consiste à montrer cette errance de la signification, ce mouvement qui fait qu’on est obligé de passer de place en place, de force en force, pour déceler dans ces contrariétés ce à quoi elles renvoient comme indicible, qui n’a pas de nom, ni de lieu, ni d’être propres. »
« Comment parler du Mémorial de Pascal, puisque c’est la marque que trace une nuit, un événement aussi, une coupure, dans le discours pascalien. Le Mémorial de Pascal d’abord est un hors-texte, c’est une signature qui se réfère à une expérience, à une élection, à une reconnaissance, un peu à la façon dont, dans un tableau, une signature est quelque chose de plus qui n’est pas le tableau ; de même le Mémorial n’est pas le tableau du discours pascalien mais c’est une signature, tout comme le miracle de l’épine pour Port-Royal. Ensuite, le Mémorial s’inscrit dans cette nuit du 23 novembre 1654 dans une problématique constante chez Pascal, à savoir une union qui est distance, mais une distance en mouvement. Ce qui frappe dans le Mémorial c’est tout ce qui se réfère à l’éloignement, être éloigné, être abandonné, séparé. Dans cette distance en mouvement, il y a un point indivisible où s’opère, s’effectue, une reconnaissance. Cette nuit dans toute la vie de Pascal est un peu comme un point indivisible, où Jésus dans sa distance, dans son approche qui l’efface, a été par Pascal reconnu. Pour Pascal, la question est de savoir, de demander, de prier d’être maintenu dans ce point indivisible où l’approche et l’évanouissement coïncident dans un moment de foi. Enfin, ce qui frappe beaucoup dans le Mémorial c’est l’emploi que Pascal fait du je et de tu. Que je n’en sois pas séparé éternellement, je m’en suis séparé, etc. Et l’on retrouve quelque chose d’analogue dans le Mystère de Jésus écrit au début de l’année suivante. N’être pas séparé pour Pascal, être proche de celui qui est abandonné, c’est se trouver dans cette altération réciproque du je qui est Pascal et qui est aussi Jésus, ou du tu qui est Jésus ou qui est Pascal. Car Jésus dit tu à Pascal et Pascal dit tu à Jésus. Et cette réciprocité, ce déplacement mutuel, cette mise à la place de l’autre inscrit dans la prière de Pascal cette instabilité mouvante, cette réciprocité jamais arrêtée de qui parle à qui. Dans ce je, dans ce mouvement du je et du tu, il y a aussi cette distance en mouvement, ce point instable, ce lieu sans lieu, qu’est pour Pascal une nuit, un jour, de dix heures et demi du soir jusques environ minuit et demi. »
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